Chapitre 1 : Back on my feet



"Back on my feet

I hit the street

I finally found a way out"


Emmitouflée dans un plaid, une tasse de café fumant à la main, Clarisse regarde le soleil poindre au sommet de la colline au loin. L'appartement, situé dans une grange, est minuscule, mais la terrasse et sa vue exceptionnelle ont justifié à elles seules le choix de cette location.

Enfin… Ça et surtout le loyer dérisoire que lui demande Fanny, la propriétaire qui vit dans le grand mas en contrebas. Une mère célibataire en galère, voilà de quoi fendre le cœur de cette septuagénaire coquette et dure à la tâche, dont les enfants ingrats ont déserté le coin depuis longtemps.


Seuls les grillons troublent le silence du petit matin de leur stridulation familière. Ils laisseront bientôt place aux célèbres cigales, emblèmes de la région, qui prendront leur tour de chant seulement quand le mercure sera assez chaud pour elles. L'odeur de la lavande qui débute sa floraison embaume l'air de son parfum apaisant. Dans les rayons du soleil levant qui peu à peu s'échappent du relief, on voit valser la poussière et les insectes poudrés d'or.

Une vraie carte postale provençale.

Montagne de Lure- Alpes de Haute-Provence
Montagne de Lure- Alpes de Haute-Provence


Clarisse inspire profondément et sent une plénitude intense l'envahir.


It's a new dawn


Il est à peine cinq heures trente en ce matin de Juin, et elle se sent bien, à sa place.

Elle ne s'est pas rendormie après le dernier réveil de Pio mais cela ne la dérange guère. La maternité, qu'elle pratique depuis quelques années maintenant, lui a appris à apprécier le silence et la solitude matinale.


Ce temps suspendu, volé au sommeil de toute façon récalcitrant, et à l'intense activité de la journée, c'est son moment à elle. Un "miracle morning" nécessaire.


Expirant la fumée de sa première cigarette de la journée, elle admet que le combo caféine et nicotine, s'il risque d'écourter son temps sur terre, lui a aussi, paradoxalement, maintes fois sauvé la vie. Ce sont les partenaires irremplaçables d'une méditation matinale réussie. De fait, la compagnie quotidienne de ces deux adversaires de ses artères semble destinée à faire partie de ses vices pour un moment…


It's a new day


Le soleil continue son ascension dans le ciel et Clarisse se met à penser à l'année écoulée.

Dans trois jours, le bambin qui ronflote paisiblement dans la chambre adjacente fêtera son premier anniversaire.

Trois cent soixante deux jours viennent de s'écouler en un vrombissement d'ailes d'un hanneton.


It's a new life for me…


Le regard perdu dans la garrigue qui l'entoure, elle revoit toutes les péripéties qui ont jalonné cette année : son départ furtif et pourtant prémédité, motivé par l'envie et la nécessité, ses pérégrinations de-ci, de-là, son nouveau-né en bandoulière. Un goût subtil de liberté dans sa bouche, le souffle de l'affranchissement dans le dos. Puis, son arrivée dans le Midi, où elle savait que son ex-mari, Paul, avait emmené leurs enfants pour un retour aux sources salutaire après la trahison qu'il avait subie. Le besoin de retrouver sa chair et son sang avait été le plus fort, mais pas au point de renoncer à cette indépendance retrouvée.


Elle rit à l'évocation de sa rencontre improbable avec Fanny, qui désespérait de trouver un saisonnier pour l'aider avec ses abricotiers. Un don du ciel que cette femme au franc parler, qui l'avait embauchée son bébé sous le bras. Elle avait passé son premier été à expier son péché dans la sueur et dans les vergers, son Pio emmailloté dans son dos, ou bercé dans les bras de cette grand-mère de substitution qui l'avait abreuvé de gâtés et de comptines en occitan. Elle avait appris à jouer à la marchande sur les marchés à touristes de la région, ce qui, au final, lui plaisait davantage qu'elle ne l'aurait cru. Une façon de reprendre contact avec le monde après les mois d'isolement de sa grossesse. De plus, ici, elle ne se sentait ni jugée, ni épiée, on ne connaissait de son histoire que ce qu'elle avait bien voulu en dire…


La saison finie, cette Bonne Mère de Fanny lui avait proposé de garder le logement, quand son voisin, un sémillant médecin quinqua que la vieille dame avait dû tanner pendant des semaines, lui offrait un poste de secrétaire médicale pour remplacer un départ en retraite. Le grand homme barbu au nom d'ange gardien et au cœur endeuillé l'avait prévenue, c'était un temps partiel, la paye était mauvaise, et la patientèle exclusivement constituée de vieux croulants acariâtres. La proposition était trop belle, elle avait accepté sans traîner et était devenue la petite main du Docteur Gaby, comme le nommait sa patientèle. Fanny l'entremetteuse avait bien calculé son coup, Gabriel lui avait tendu la main, et Clarisse en retour, l'avait maintenu debout. Deux âmes écorchées qui s'étaient reconnues et épaulées.


Son mégot de cigarette écrasé dans la coquille St Jacques qui lui sert de cendrier, Clarisse brasse instinctivement le tas de cartes posé sur la table. Quand d'autres égrènent des chapelets, elle mélange son fidèle Tarot dans le même but d'apaisement et de contemplation. Au début du printemps, se sentant en confiance après plusieurs mois de consultations informelles, elle avait lancé les démarches pour créer son activité autour de la cartomancie. Un salon est déjà prévu au début de l'automne, ainsi que divers ateliers. Elle espère tirer de sa passion un bon complément pour les mois où son aide dans les vergers n'est pas nécessaire.

Jamais dans son existence les opportunités ne s'étaient aussi facilement goupillées. La magie des nouveaux petits matins de la vie…


Seules ses relations avec Paul ternissent le soleil permanent du Sud.

Il avait accepté de lui parler seulement depuis le début de l'automne. Leurs relations sont cordiales quoique fraîches. Clarisse a pu revoir ses enfants à plusieurs reprises, mais le feu de sa fille à l'enthousiasme innocent devant le retour de sa mère flanquée d'un poupon vagissant, contraste avec la froideur de son fils, pré-ado blasé qui semble lui nourrir une rancune de granit. L'apprivoiser à nouveau prendra du temps.


Un nuage dodu à la texture cotonneuse voile soudain l'astre du matin de sa démarche paresseuse projetant une ombre impromptue sur le paysage.


Et lui…

Elle frissonne quand son image prend forme dans son esprit, tel un ectoplasme nourri de rancœurs et de colère.

La tête dans le guidon, cumulant les activités avec une énergie venue d'on ne sait où, elle n'a pas eu le loisir de penser beaucoup à lui depuis…

Elle s'en félicite, d'ailleurs.

Pourtant, à mesure que les semaines passent et que son fils grandit, des traits communs se font jour et les réminiscences deviennent plus fréquentes.

Depuis peu, la nuit, une angoisse profonde qu'il la retrouve et lui prenne son fils la tient éveillée pendant un moment, puis au matin, elle se raisonne.

Comment les retrouverait-il?

Que viendrait-il faire ici?

Que pourrait-il donc encore détruire?


Quand le soleil, pleinement libéré de la colline qui l'entrave, expose dans son visage sa lumière rayonnante, elle chasse de son esprit ses pensées sombres.

La lame du Magicien saute du paquet qu'elle triture toujours machinalement.

L'optimisme revient.

Rares sont ceux qui peuvent recommencer leur vie, et elle avait eu cette chance.

Dans le murmure de cette aube estivale, elle se fait la promesse de ne jamais plus laisser rentrer ainsi quelqu'un dans sa vie.

De ne plus donner libre cours à l'emprise.


Par la porte fenêtre entrouverte, des babillages insistants se font entendre.

Clarisse ingurgite le fond de café froid qui traine dans sa tasse et se lève pour répondre à l'Appel.

Une nouvelle journée commence.


and I'm a feeling good


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